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Al Ceste un jour sur trois (ou quatre) !
3 mars 2016

Le temps passe, mal.

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Longtemps j'ai regardé Pagnol de loin, le résumant (sas l'avoir ni lu ni vu, j'ai honte) à des histoires avé l'assent tirées du catalogue de Marius et Olive, ô fan de chiche.

Et puis je suis tombé par hasard sur le premier tome de ses mémoires d'enfance. Je l'ai lu avec attendrissement, séduit par la sensualité des scènes : je veux dire qu'on voyait, entendait, humait, touchait avec précision le paysage, acteur presque principal, le tout dans une langue élégante mais pas affectée, où passe souvent l'humour. Mais ça restait, comment dire, léger. Léger non de superficialité mais parce que le soleil brillait toujours. Je suis passé à la suite. Et d'un seul coup, à la fin de Le Château de ma mère, c'est la glace qui m'est tombée dessus :

… Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l'eau celle des moulins.

Cinq ans plus tard, je marchais derrière une voiture noire, dont les roues étaient si hautes que je voyais les sabots des chevaux. J'étais vêtu de noir, et la main du petit Paul serrait la mienne de toutes ses forces. On emportait notre mère pour toujours.

De cette terrible journée, je n'ai pas d'autre souve­nir, comme si mes quinze ans avaient refusé d'admet­tre la force d'un chagrin qui pouvait me tuer. Pendant des années, jusqu'à l'âge d'homme, nous n'avons jamais eu le courage de parler d'elle.

Puis, le petit Paul est devenu très grand. Il me dépassait de toute la tête, et il portait une barbe en collier, une barbe de soie dorée. Dans les collines de l’Étoile, qu'il n'a jamais voulu quitter, il menait son troupeau de chèvres ; le soir, il faisait des fromages dans des tamis de joncs tressés, puis sur le gravier des garrigues, il dormait, roulé dans son grand manteau : il fut le dernier chevrier de Virgile. Mais à trente ans, dans une clinique, il mourut. Sur la table de nuit, il y avait son harmonica.

Mon cher Lili ne l'accompagna pas avec moi au petit cimetière de La Treille, car il l'y attendait depuis des années, sous un carré d'immortelles : en 1917, dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms...

Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.

Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants ...

 

D'un seul coup, cet auteur prenait pour moi une autre dimension : une aptitude à dire le tragique, avec des mots d'une force et surtout, d'une pudeur à couper le souffle. J'avais rarement lu une telle évocation du chagrin, de la perte, du silence contraint, de la solitude comme celle où est tombé son cher Lili « sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms ». Plantes froides : où un adjectif fait tout...

Et puis cette phrase, anthologique au cœur de l'anthologie : « Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins* ». Cette gravité brusquement survenue, je l'ai retrouvé à la fin de La Femme du boulanger, film qu'on aurait bien limité à la gaudriole s'il n'y avait pas eu à la fin la scène de la Pomponnette, colère, amour et trahison à venir intiment liés...

* Qui me renvoie à la fin de Jody et le faon (voir article).

 

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Commentaires
C
Oui, certes, l'écriture peut être intense, et avec le sens du tragique, et tout Pagnol se lit avec émotion, plaisir, humanité - mais cependant, sur l'échelle purement "littéraire", je persiste à le classer derrière France et surtout, surtout, Giono. Le travail littéraire est chez ce dernier absolument exceptionnel, Pagnol, lui est fort profondément humain. Mais si je dis "classement", en fait, le mot est impropre, car les "projets littéraires" sont vraiment différents. Avez-vous lu "le livre de mon ami" ?
A
Pagnol est un auteur trés touchant , vous avez raison.
Al Ceste un jour sur trois (ou quatre) !
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