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Al Ceste un jour sur trois (ou quatre) !
25 avril 2016

A tous les François Lepic

Poil de carotte (3)

L'enfant mal aimé est un thème ancien et universel, mais Poil de Carotte est un livre unique. Unique par son organisation, une suite de scènes de longueur très inégale. Unique par la variété de ces scènes, certaines peuvent être légères (si on peut dire, dans un monde lourd de silences bourgeois) d'autres cruelles (souvent) et même, terribles comme La Tempête de feuilles :

« Il fourre aussi ses doigts dans ses oreilles. Mais la tempête entre chez lui, du dehors, avec ses cris, son tourbillon.

Elle ramasse son cœur comme un papier de rue.

Elle le froisse, le chiffonne, le roule, le réduit.

Et Poil de Carotte n’a bientôt plus qu’une boulette de cœur. »

Unique par le style de Jules Renard : sec, haché, pas une once de lyrisme, pas une seule ponctuation émotive. De la pudeur, à la rigueur de l'ironie glacée.

Par chance, je possède deux version illustrées : une par Valloton, qui rend bien la sécheresse julesrenarde, une par Poulbot, et on ne s'étonne pas de savoir que celui qui aimait les poulbots a aimé cet intrus dans la famille Lepic.

450px-Renard_-_Poil_de_Carotte,_1902-297

 (Valloton)

Des nombreux films qui en viennent, je ne connais que celui de Duvivier, avec Harry Baur et Robert Lynen jeune. Le cinéaste a ajouté au livre poésie (les scènes champêtres et heureuses avec Parrain, qui mériteraient un article à elle seules), émotion (avec Harry Baur, c'était facile). Colère, quand Poil-de-Carotte revient de vacances chez lui, qu'il fouaille le cheval depuis la carriole en voyant, sur le bord de la route, des animaux mères et enfants se donnant ce que lui n'a pas et ne peut pas donner.

Dans le livre, on a une brève tentative de suicide, quand l'enfant se met la tête dans un seau, avec pour seul résultat ceci :

« En effet Poil de Carotte tente de se suicider dans un seau d’eau fraîche, où il maintient héroïquement son nez et sa bouche, quand une calotte renverse le seau d’eau sur ses bottines et ramène Poil de Carotte à la vie. »

Duvivier en tire toute une séquence. Le père de François est élu maire, c'est l'agitation au village, et personne ne fait attention à lui, personne ne le voit errer comme une âme en péril, ne saisit les pauvre perches qu'il tend, et il part se pendre. La seule à qui il le dit est une petite fille qui, avec la terrible logique des enfants, l'approuve. Le seul qui a senti la chose est, ça n'a rien du hasard, son parrain, qui rudoie Monsieur Lepic, le sort de la fête et l'envoie chercher son fils. L'enfin père arrive pile à l'instant fatal (pas de cinéma sans suspense !) puis, après l'avoir décroché et pour la première fois embrassé, lui demande : pourquoi ? Et là, normalement, on attend une réponse genre : personne ne m'aime ! Non, on reçoit en coup de poignard un cri, cette phrase terrible : parce que j'aime pas ma mère !

Voilà. Un bon demi-siècle avant les avis des psychologues médiatiques, Duvivier énonce une idée qu'on croit maintenant être une évidence connue de tous : une victime se punit de ce qu'elle a subi car elle s'en pense coupable.

Si un lecteur ou une lectrice plus au fait de psychologie que moi peut développer, je prends...

 

Poulbot-Poil-de-Carotte-035

 

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