La reine des cabrioles
Ma quatrième fut la reine des cabrioles, et c'est ce qui la perdit.
Jolly Jumper IV y prit goût sur une petite départementale, au bout d'une ligne droite où j'apercevais un tracteur agricole tenant mal sa droite. A l'instant de le frôler, il trônait franchement au beau milieu de la route : oh funérailles ! Une seule solution : le fossé, dix mètres de ronces valant mieux que deux tonnes de ferraille. Coup de volant. Et si on évitait le précipice ? Autre coup de volant, direction le ravin d'en face. Allez, on repart à droite. Puis à gauche, et la fatigue me fait mettre quand même une roue dans le creux, cueillant délicatement au passage assez d'herbe pour nourrir un parc zoologique. Faciès du paysan mâchouillant son mégot, qui croyait bien devoir prendre sa demi-journée pour mon enterrement ! Franchement, j'aurais eu une Dauphine (j’en demande pardon à ses adorateurs !), je vous faisais la toupie hollandaise, un coup tu me vois un coup tu me vois pas, et fini en Quasimodo avant son lifting !
Elle remit le couvert dans une grande courbe que je prenais habituellement selon une technique bien connue des deuchistes : accélérateur soudé au plancher. Mais ce jour-là, la route était grasse, et je partis en têtes-à-queues (claviste, respectez le pluriel, tant ils furent nombreux !) sous les yeux fatalistes d'un conducteur de semi-remorque qui crut ma dernière heure venue. Je m'arrêtai sur le bas-côté, abasourdi, la malle arrière de la voiture retroussée comme une jupe de french-cancanière et des débris de pare-brise coincés entre jante et pneu : j'avais fait le ménage du bas-côté !
Et tout ça finit un beau matin où je somnolais sur mon volant, suivant au pilotage automatique une DS, noire (sinistre présage... ) Je vis trop tard ses stops allumés, et voulus l'éviter d'un coup de volant. Ce que je n'évitai pas, c'est le bus Mercedes qui venait en face. Gross karr hallémand contre sauterelle franchouillette, la partie était inégale, et je ne dois de pouvoir encore vous écrire qu'à la faible vitesse du choc. C'est ça l'avantage de la 2 cv : rien ne peut se faire vite !