La Victimolâtrie, c'est tendance !
Par les temps violents d'hommages, de commémorations et de cellules psychologiques qui courent et vite, on voit se répandre une mode ambiguë, voire perverse : la victimolâtrie.
Ce qui a déclenché chez moi ma première réflexion sur ce qu’il faut faire pour les victimes, et surtout pas donner dans la victimolâtrie, c’est une scène de l’extraordinaire « La Nuit du Chasseur »
Powell, un pervers qui a poursuivi des enfants après avoir tué leur mère, Wilma Harper, est jugé. Les Spoon, un couple d’épicemards cons et bigots (ça va de pair), ceux-là même qui avaient poussé Wilma vers Powell, voyant les enfants dans la rue au sortir du procès du tueur, s’abattent sur eux en pleurant de toute leur compassion gluante, saluant ces « pauvres petits agneaux de Jésus ! ». Là arrive Miss Cooper, qui les arrache aux griffes des deux grenouilles de bénitier et en éloigne les enfants.
Miss Cooper est la femme qui les a recueillis dans leur fuite, qui s’en occupe, qui leur donne la sécurité qu’ils n’avaient plus depuis le remariage de leur mère. Et qui, si elle les écoute parler au bout de mois de présence chez elle, ne leur a jamais posé une seule question. Jamais. Le garçon, qui a développé une méfiance profonde envers les adultes pervers (Powell) naïfs (sa mère, les Spoon) faibles (Oncle Steptoe) finira par lui ouvrir non sa bouche mais ses mains (scène de la pomme). On peut parier qu'à partir de ce moment, il s'est remis en route.
Les victimes, c’est à la mode. Pour payer de vrais siècles d’indifférence, on fonce dans l’autre sens. On encourage la plainte plaintive, on empêche les nécessaires deuils de se faire : regardez la floraison nouvelle dans les rubriques nécrologiques des « nous ne t’oublierons jamais », des « dix ans après, la douleur est la même ». On oublie que les morts ne doivent jamais empêcher les vivants de vivre. On rejoint le système américain où les familles des victimes, des dix et vingt ans après, sont conviés à se régaler de la vengeance par injection létale. Pardonner ? Jamais. Oublier ? Jamais. Et donc, souffrir, toujours. La haine est un venin qui pourrit autant son vecteur que sa cible.
Je crois qu’il y a chez les victimophiles un paquet de calculs :
- Une victime, c’est quelqu’un de faible et de manipulable. Qu’elle ne se vive plus en victime, et ils perdent un bon client. Enfermer les victimes dans leur statut de victime et dans une posture victimaire, c’est hypothéquer leur reconstruction.
- C’est un merveilleux emblème du combat contre les méchants, combat rendu plus facile par la Peur, peur de tout, de l’autre, du différent, de ce qui fait que les gens en sont à ne plus même mettre de nom sur leur boite aux lettres. Et les gens qui ont peur, comme les victimes, c’est tout bénef un jour d’élection.
- C’est un excellent moyen de se faire passer pour quelqu’un de bien.
Edit : les nouvelles victimes à la mode sont les gens issus de l'émigration, qu'il convient de protéger autant contre les racistes que contre les gens que l'intégrisme religieux inquiète, alors qu'il faut plutôt s'inquiéter de voir ces gens victimes dudit intégrisme.