La femme et les justiciers
...C’est une photo de Robert Capa. A la Libération, la foule poursuit une femme tondue portant son bébé. Vous croyez cette photo banale, mais lentement elle devient terrible. Parce qu’on sait maintenant que, au classement de la saloperie, beaucoup* parmi elles roulaient à l’arrière du peloton, que ces chasses à la femme adultère servirent d’exutoire à la lâcheté ordinaire de bien des Français ordinaires, beaux ouvriers de la onzième heure, voire collabos saisis par la hâte de détourner les regards : faute d’avoir résisté, il était trop tentant de se refaire une virginité en s’en prenant à celle qui avait perdu autant la sienne que ses protecteurs verts-de-gris. Regardez cette foule joyeuse, des hommes, des femmes, des enfants tous souriants, même pas grimaçants, encore une fois ordinaires. Les hommes, pensent-ils qu’ils auraient bien aimé la prendre à leur compte, celle-là ; les femmes, pensent-elles qu’elles auraient bien aimé faire de même ; les enfants, pensent-ils que c’est ça la justice des adultes. Et celui qui l’accompagne, en uniforme : la protège-t-il de pire, ou gueule-t-il plus fort que les autres. Et elle, nue comme jamais malgré ses habits, madone sans sourire, sans autre regard qu’à son petit serré à pleins bras, avec on l’espère l’idée dans son crâne rasé que lui n’y est pour rien.
Ces ouvriers de la onzième heure, ont-ils un jour regretté d’avoir fait ça ?
Qu’est-elle devenue ?
Et l’enfant, avec ce sale paquet-cadeau pour affronter la vie ?
(On connaît hélas la réponse pour beaucoup : ce sont souvent eux qui payèrent le plus ce en quoi ils étaient le moins.)
* Et certaines étaient belles : est-ce ça, aussi, qu’on leur faisait payer ? Membres illimitées et toujours renouvelées de la cohorte de celles qui paient tout à la place des mâles…
PS Pour en savoir plus : tonduechartres.wordpress.com